MÉMOIRE DE COLOUR OF POVERTY – COLOUR OF CHANGE

1. Au sujet des organisations

Colour of Poverty – Colour of Change (COP – C) est une initiative s’étendant à l’ensemble de la province. Elle fait intervenir des particuliers et des organisations qui travaillent à la création de capacités communautaires pour s’attaquer à la racialisation de plus en plus marquée de la pauvreté et à l’intensification correspondante de l’exclusion sociale et de la marginalisation des collectivités racialisées de l’Ontario. Le réseau Colour of Poverty – Colour of Change s’efforce d’élaborer des stratégies, des initiatives, des capacités communautaires et des outils concrets qui aident les personnes, les organisations et les groupes – en particulier ceux et celles qui reflètent les collectivités racialisées touchées – à élaborer des plans d’action plus cohérents et efficaces et des stratégies créatives mieux coordonnées afin de mieux travailler ensemble pour remédier aux inégalités ethnoraciales structurelles et systémiques qui se manifestent de plus en plus dans la province.

II. Le rôle du gouvernement fédéral dans la réduction de la pauvreté des collectivités racialisées et des autres groupes défavorisés

 Il est de plus en plus établi de façon claire et irréfutable que le fossé entre riches et pauvres se creuse en Ontario et au Canada, mais ce qu’on sait beaucoup moins, c’est que ce fossé touche beaucoup plus profondément les membres des groupes racialisés : Autochtones, membres des Premières nations et communautés de couleur.

 Les nombreuses inégalités ethnoraciales institutionnelles, structurelles et systémiques des peuples autochtones (Premières nations, Inuits et Métis) du Canada sont également très bien établies – et puisque nous sommes au courant des réalités de ces peuples et de ce qu’ils vivent, nous sommes entièrement solidaires des efforts qu’ils déploient eux-mêmes pour remédier à l’exclusion raciale. Nous croyons fortement qu’il existe de nombreux liens entre ces difficultés et celles d’autres groupes racialisés (les personnes de couleur) en Ontario et au Canada. Toutefois, compte tenu des éléments susmentionnés, nous demandons instamment à notre gouvernement fédéral de respecter ses obligations (et les nôtres) issues de traités en reconnaissant et en respectant pleinement les revendications d’autodétermination des Premières nations, et nous reconnaissons ainsi également que les revendications des Premières nations concernant le droit à la justice nécessitent un ensemble différent de stratégies du gouvernement fédéral, des réponses détaillées en matière de politiques et un virage complet vers un partage approprié des recettes et des ententes de financement équitables en raison des relations historiques uniques et particulières des peuples autochtones (Premières nations, Inuits et Métis) avec le Canada.

En ce qui concerne les personnes de couleur (c.-à-d. les minorités visibles), un rapport récent du Wellesley Institute et du Centre canadien de politiques alternatives confirme qu’il existe un « code de couleur » qui empêche les « minorités visibles » d’obtenir de bons emplois sur le marché du travail canadien. Le rapport indique que les travailleurs canadiens faisant partie d’une minorité visible gagnent 81,4 cents pour chaque dollar versé à leurs homologues blancs.

En s’appuyant sur le Recensement de 2006, des chercheurs ont remarqué que les gains des nouveaux arrivants de sexe masculin faisant partie d’une minorité visible ne représentaient que 68,7 % du revenu des hommes blancs. Le rapport confirme également que ce code de couleur persistait chez les Canadiens de deuxième génération ayant un niveau de scolarité et un âge semblables, mais que l’écart s’était légèrement réduit : les femmes de minorité visible gagnaient 56,5 cents, par rapport à 48,7 cents en 2000, pour chaque dollar gagné par les hommes blancs, tandis que les gains des hommes de minorité visible de la même cohorte ont augmenté de près de 7 cents, pour atteindre 75,6 cents.

 En 2006, pendant les années de forte croissance, le taux de chômage des minorités visibles était de 8,6 %, comparativement à 6,2 % pour les Canadiens blancs. Fait encore plus troublant, les minorités visibles étaient sous-représentées dans l’administration publique, où 92 % des travailleurs étaient des blancs.

 La « racialisation » ou le « codage couleur » en hausse de tous les principaux indicateurs socioéconomiques est observable non seulement dans les statistiques sur le revenu et la richesse, mais aussi dans un certain nombre d’autres mesures, comme les inégalités sur les plans de l’état de santé et les résultats scolaires, les taux plus élevés de décrochage ou d’expulsion chez les apprenants des groupes racialisés, les inégalités sur le plan des possibilités d’emploi, la surreprésentation dans les emplois mal rémunérés, précaires et au bas de l’échelle, où leurs droits en tant que travailleurs sont souvent mal protégés ou ne sont pas protégés du tout, un nombre plus élevés de logements surpeuplés et d’itinérance et la réapparition forcée des enclaves résidentielles racialisées, la multiplication des incidents et des disparités ethnoraciales dans les activités policières ainsi que la surreprésentation des hommes autochtones et des femmes de couleur dans les populations carcérales. Tout cela découle de la longue exclusion sociale et économique des groupes racialisés de la société dite traditionnelle, une exclusion qui est aujourd’hui en croissance.

Compte tenu de ces dures réalités, il est impératif que les dirigeants politiques de tous les ordres de gouvernement discutent de la réduction, sinon de l’élimination de la pauvreté en prenant directement des mesures pour remédier à une pauvreté de plus en plus racialisée ou autrement caractérisée.

Les Canadiens ont besoin de toute urgence d’un plan national global de réduction de la pauvreté qui intègre une vaste gamme d’initiatives universelles, accompagnées par des mesures ciblées précises qui visent à remédier aux diverses sources sous-jacentes ou aux différents facteurs de vulnérabilité qui exposent les groupes racialisés et d’autres groupes défavorisés à une pauvreté disproportionnée.

 De plus, il est très important que ce plan national de réduction de la pauvreté nomme, aborde, suive et mesure de façon précise le changement positif en ce qui concerne la pauvreté racialisée. 

Recommandation no 1 : Le gouvernement fédéral doit assumer un rôle de chef de file en reconnaissant l’existence d’obstacles systémiques à l’inclusion et d’une discrimination raciale persistante, et prendre des mesures pour régler ces problèmes. Pour ce faire, le gouvernement doit élaborer et mettre en œuvre une stratégie nationale de réduction de la pauvreté comportant des mécanismes et des objectifs ciblés et mesurables, ainsi que des calendriers, et en adoptant des moyens de mesure des résultats afin d’évaluer systématiquement l’ensemble de ses lois, politiques, programmes et pratiques ainsi que ses décisions annuelles et continues relatives au budget et à l’affectation des ressources. 

III. Améliorer la capacité du gouvernement fédéral de lutter contre la pauvreté

En cette période d’austérité, les politiciens de toutes allégeances et de tous les ordres de gouvernement tentent de convaincre les Canadiens que les gouvernements ne doivent plus s’occuper des affaires de gouvernance en raison du « déficit » budgétaire auquel ils sont confrontés. On répète aux Canadiens que la seule façon d’éliminer ce déficit est de réduire les dépenses dans les services publics et le financement des biens publics, qu’il s’agisse des librairies municipales, de l’aide juridique à l’échelle provinciale ou de la garde d’enfants à l’échelle fédérale. Il en est ainsi même si les politiciens eux-mêmes reconnaissent que les services que l’on envisage de réduire ou d’éliminer sont des « services essentiels » dont les Canadiens ont besoin pour demeurer en santé et conserver leur bien-être ou pour encourager le développement d’une société inclusive et démocratique.

Or, alors qu’on demande aux Canadiens de faire des sacrifices personnels afin de réduire le déficit, les sociétés, les détenteurs de patrimoine et les contribuables à revenu élevé bénéficient de réductions d’impôt et d’échappatoires fiscales toujours plus généreuses, une approche qui va à l’encontre des principes progressifs. Ces réductions d’impôt, ou crédits d’impôt, sont directement responsables du phénomène indéniable de « l’enrichissement des riches et de l’appauvrissement des pauvres ». Pour ne nommer qu’une seule preuve de ces inégalités croissantes, selon les données du Recensement de 2006 publiées par Statistique Canada, de 1980 à 2005, les gains moyens des salariés canadiens ayant les revenus les plus élevés ont augmenté de plus de 16 %, tandis que les gains des salariés du quintile inférieur ont chuté de 20 %.

Or, alors qu’on demande aux Canadiens de faire des sacrifices personnels afin de réduire le déficit, les sociétés, les détenteurs de patrimoine et les contribuables à revenu élevé bénéficient de réductions d'impôt et d'échappatoires fiscales toujours plus généreuses, une approche qui va à l'encontre des principes progressifs

Le coût annuel des réductions d’impôt des entreprises ayant été mises en place au cours des deux derniers mandats du gouvernement ou qui doivent entrer en vigueur ultérieurement atteindra 14,2 milliards de dollars d’ici l’exercice 2012-2013. Si cette capacité fiscale pouvait être utilisée par le gouvernement du Canada, elle aurait une grande incidence sur la réduction du déficit, ce qui permettrait de financer des services publics importants dont tous les Canadiens ont besoin, surtout les personnes et les collectivités qui sont au bas de l’échelle de l’économie.

La diminution constante des recettes fiscales nuit directement à la capacité du gouvernement fédéral d’offrir ou de financer des programmes qui sont essentiels pour les membres des collectivités les plus marginalisées du Canada. Un programme national de garde d’enfants et des programmes de construction de logements abordables, de renforcement des capacités et de sécurité du revenu pour les femmes et d’autres groupes défavorisés, ainsi que certains programmes visant à créer une égalité réelle, comme le Programme national de contestation judiciaire, ont tous été assujettis à une réduction de leur financement ou à une élimination complète.

Voici un autre exemple de politiques économiques contradictoires et incohérentes : l’Institut Caledon a estimé que le montant de la Prestation fiscale canadienne pour enfants pouvait être augmenté de 5 000 $ par enfant, pour un coût annuel de 4 milliards de dollars. Il est clair que les restrictions imposées aux ressources publiques à l’échelle fédérale découlant de ces baisses d’impôt imprudentes et fondées sur une idéologie – celles en vigueur et celles à venir – contribuent en fait à diminuer le financement du gouvernement fédéral dans bien trop de secteurs publics essentiels.

Puisque les collectivités racialisées de l’Ontario (et de partout au pays) sont considérablement surreprésentées parmi les pauvres, elles auraient pu profiter davantage de ces services publics, s’ils avaient été financés convenablement. Ainsi, l’obsession des réductions d’impôt, à la fois pour les entreprises et les particuliers, a eu et aura toujours pour résultat de nuire à ces collectivités de plus en plus vulnérables.

L’an dernier, le gouvernement de l’Écosse a commandé une étude visant à examiner les répercussions de la réduction des dépenses dans les services publics sur les groupes vulnérables. Intitulée Equalities Budget Report (rapport budgétaire sur l’égalité), cette étude fondée sur des preuves a été réalisée par l’Employment Research Institute (institut de recherche en emploi) de l’Université Edinburgh Napier. L’objectif général était d’examiner et de résumer les faits internationaux et du Royaume-Uni au sujet des répercussions de la réduction des dépenses sur les « equalities groups » (que nous pourrions appeler au Canada des « groupes visés par les droits à l’équité »). Le rapport met l’accent sur les événements passés, mais présente également des estimations sur les répercussions que pourraient avoir des compressions de dépenses dans l’avenir.

Voici, entre autres, certaines des principales conclusions du rapport :

·         Les groupes visés par les droits à l’équité sont particulièrement vulnérables aux réductions des dépenses publiques, puisqu’ils sont non seulement bien représentés dans l’effectif de la fonction publique, mais sont aussi de grands utilisateurs des services publics.

·         Certaines personnes peuvent faire partie de plusieurs groupes visés par les droits à l’équité, aggravant ainsi leur vulnérabilité aux compressions dans les services publics. De plus, des compressions dans un secteur peuvent toucher d’autres groupes visés par les droits à l’équité.

·         Les grandes variations à l’intérieur des groupes doivent être explicitement prises en compte, car certains sous-groupes peuvent être beaucoup plus touchés que d’autres (p. ex. les mères comparativement aux femmes seules, ou certains groupes ethniques par rapport à d’autres).

·         Certaines personnes sont particulièrement vulnérables aux réductions de dépenses en étant à la fois employées de la fonction publique et utilisatrices des services publics.

·         Les effets des compressions des dépenses publiques seront ressentis par les personnes qui travaillent au sein d’organismes communautaires et par les clients de ces organismes et transcenderont les limites sectorielles.

Ce que l’on a constaté au Royaume-Uni est également vrai ici au Canada : à mesure que les diverses mesures d’austérité sont mises en place, les membres des collectivités racialisées et d’autres collectivités défavorisées continueront de soutenir tout le poids de la capacité fiscal et de subir les effets des compressions dans les services publics.

 Recommandation no 2 : Le gouvernement fédéral devrait non seulement renoncer à quelques-unes des mesures de réduction des impôts qu’il a prises jusqu’ici, mais également augmenter les impôts des entreprises ainsi que ceux des contribuables ayant un revenu élevé, afin d’être en mesure de réserver davantage de fonds à la prestation de services et de programmes en faveur de tous les Canadiens, et surtout de ceux qui vivent dans la pauvreté et qui ne jouissent pas des mêmes chances, des mêmes possibilités et de la même qualité de vie que les autres membres de la société.

VI. Suivi, mesure, indicateurs et rapports sur la contribution du gouvernement fédéral à la réduction de la pauvreté

Bien que la situation change très lentement, à l’exception de la ville de Toronto et compte tenu de la reconnaissance et de la mesure très inégales des inégalités structurelles et systémiques des peuples autochtones dans certains contextes et certaines administrations, on remarque un important manque de données et de recherche dans bien des collectivités du pays au sujet de la racialisation de la pauvreté.

Par exemple, les initiatives fédérales visant à augmenter le taux d’inscription à la Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garanti sont souvent citées comme exemples de réussite en matière de réduction de la pauvreté chez les aînés. Cependant, personne ne sait dans quelle mesure ces initiatives ont aidé les aînés des collectivités racialisées. Nous ne savons pas non plus si les aînés immigrants de certains pays sont confrontés à des obstacles systémiques qui les empêchent d’avoir accès à ces prestations ni si les membres des collectivités racialisées ont vu leur situation s’améliorer de façon générale grâce à ces prestations.

Plus précisément, le manque de données non regroupées signifie que le gouvernement fédéral ne sait pas très bien qui sont réellement les pauvres ni la façon dont ces derniers sont touchés par les politiques et les programmes gouvernementaux. Sans ces données, le gouvernement n’est également pas en mesure de calculer ce qu’il en coûterait de ne rien faire, d’un point de vue économique et d’un point de vue social.

Ainsi, le réseau Colour of Poverty – Colour of Change aimerait formuler la recommandation suivante au Comité permanent :

Recommandation no 3 : Le gouvernement fédéral devrait recueillir des données non regroupées auprès de tous les ministères et des institutions pertinentes et effectuer le suivi de ces données, afin de cerner les inégalités ethnoraciales structurelles et systémiques. En ce qui concerne la pauvreté, nous devons élaborer et utiliser des définitions et des indicateurs communs et clairs afin d’établir précisément qui sont les pauvres du pays, tout en déterminant des objectifs et des repères précis ainsi que des indicateurs sur une base intersectorielle, pour surveiller les différences liées précisément au marché du travail ainsi que les progrès des initiatives et des plans de réduction de la pauvreté ciblant les groupes racialisés et les autres groupes et collectivités historiquement défavorisés et marginalisés. 

V. Conclusion

Les Canadiens s’attendent à ce que leurs gouvernements jouent un rôle essentiel en ce qui a trait à la protection sociale de tous les Canadiens, et surtout de ceux qui ont besoin d’un coup de main. Les Canadiens croient en l’équité et partagent réellement le sentiment de responsabilité collective que nous nous devons les uns les autres dans une société démocratique fondée sur des principes comme l’égalité, le respect de la diversité et les droits de la personne. Les Canadiens qui ont le sens de l’équité savent et acceptent que les droits impliquent des responsabilités. Parmi ces responsabilités, les Canadiens acceptent de se conformer et de contribuer à un système d’imposition progressif qui tient compte de la capacité des personnes et des familles de payer de l’impôt et qui impose une obligation pondérée convenable aux entreprises afin de partager les profits. 

En se concentrant seulement sur les mesures de réduction des dépenses dans la présente consultation budgétaire sans chercher à savoir comment améliorer de façon appropriée les principales mesures fiscales, le gouvernement fédéral s’empêche de connaître des façons plus créatives d’accroître les recettes. En effet, nous perdons une excellente occasion de rappeler aux Canadiens l’importance des biens publics comme éléments de base d’une société inclusive, ainsi que le rôle du gouvernement dans la prestation de services publics, de sorte que tous les Canadiens, peu importe leur identité ou leur revenu, aient un bon niveau de vie et une chance égale de réussir.